LE CHÂTEAU DE L’ARMURIER

 

L’origine et le nom du château de l’Armurier remontent au XIVe siècle, lorsqu’un fabricant de cottes de mailles acquiert un bois et quelques arpents de terre pour y fonder sa propriété ainsi qu’une métairie. Au travers des siècles se sont succédés de nombreux propriétaires, dont un conseiller du roi Louis XIV, un capitoul et un trésorier de France avant la Révolution.


Le château, originellement bâti de pierres et de briques et longé par un ruisseau, n’a cessé de subir des modifications et agrandissements jusqu’à nos jours ; il s’est doté entre-autres d’une pergola, d’une piscine, de plantations de vignes et cultures céréalières, de courts de tennis, de fontaines, adossé à un jardin, des chênes et tilleuls, des rosiers et muriers.


En 1935, deux administrateurs de société, Georges et Raoul Massardy, acquièrent le domaine.

Un domaine où il faisait bon vivre

« Le château est une grande bâtisse en forme de U et s’élevant sur deux étages. Pour accéder à l’entrée, il faut traverser la cour intérieure fermée par une grille et un lourd portail de fer gardé par deux marronniers centenaires. Sur l’aile droite se trouvent l’étable, l’écurie, un bûcher, un atelier, un garage et l’appartement du valet de chambre. A l’arrière de cet ensemble, la serre et un jardin d’agrément. Sur l’aile gauche, l’appartement du régisseur, un lavoir, la salle de jeux avec au-dessus des chambres. A l’entrée, un très bel escalier en bois s’ouvre à droite et à gauche et permet d’accéder à l’étage où s’étirent les chambres, les salles de bains et une bibliothèque. Au-dessus, sont aménagées des chambres pour les employés vivant au château. Revenant dans l’entrée, nous descendons cinq marches et nous nous retrouvons dans un très long couloir au sol en marbre. Juste en face, deux portes conduisent dans un immense salon en deux parties luxueusement meublé ; de hautes portes-fenêtres éclairent la pièce. Au rez-de-chaussée encore, la salle à manger et la cuisine. En sortant du salon ou de la salle à manger, on se retrouve sur une large terrasse en brique ; un espace, quelques marches et voilà la piscine avec son demi-cercle où s’élève une vasque. Tout autour de la piscine, de la pelouse, des massifs de fleurs, des arbres de Judée, des palmiers et deux très beaux tulipiers de Virginie. Les massifs étaient plantés de fleurs (cinéraires de plus souvent) cultivées dans la serre chauffée pendant l’hiver et transplantées au printemps. Dans le parc, les deux courts de tennis, dont un en terre battue, sont reliés par une pergola en fer forgé où courent des rosiers grimpants. Entre les deux courts, des bancs en brique permettent de se reposer ou de suivre un match et des bassins apportent une note de fraîcheur. Tout autour de cet ensemble encore des rosiers qui faisaient l’objet des meilleurs soins1. »

Copie d’une aquarelle donnée par Georges Massardy à Isabelle Feldkirchner. Au premier plan, Eugène Montel. Sur le banc, Mmes Montel et Massardy.



Aux côtés d’Eugène Montel

Léon Blum (à gauche) et Eugène Montel (à droite)

Dès 1939 lorsque la guerre éclate, Renée Massardy, épouse de Raoul Massardy, accueille son père Eugène Montel au château de l’Armurier. Ce dernier, proche de Jules Moch, René Mayer, Marx Dormoy, Vincent Auriol et Léon Blum, invite ces deux derniers à se réfugier à ses côtés en juin 1940.

« Je restais donc à l’Armurier (…). J’étais épuisé par la fatigue, la tension, l’angoisse ininterrompue des deux dernières semaines, mais je recouvrais bientôt l’équilibre dans cette maison, ensoleillée et fraîche, au milieu d’un beau jardin solitaire, entre des amis affectueux. J’entends l’équilibre corporel, car la désolation de l’esprit persistait2. »
Léon Blum.


« De nombreuses soirées sont organisées. Léon Blum recevait très souvent Vincent Auriol et son épouse dont j’ai gardé un très bon souvenir, ainsi que d’autres leaders politiques dont Daniel Mayer, Jules Moch… En compagnie de Georges Massardy, parfois de Catherine Blum, la petite la fille de Léon, nous déclamions des vers du Cid, du Bourgeois Gentilhomme ou de l’Avare devant les invités dans le grand salon3. »
Edmond Lazerge. Columérin, ancien élu municipal et petit-fils du régisseur de l’Armurier.

« Nous voici, véritables conjurés, depuis longtemps déjà liés par une solide amitié : nous voici tous les jours rassemblés autour de Léon Blum pour nous concerter, pour maintenir le contact avec nos alliés ; pas le moindre fléchissement de nos résolutions. Bien entendu des barbouzes veillent sur nous – pour nous protéger ! Aucune autorisation de descendre en ville de Colomiers à Toulouse n’est accordée aux multiples demandes de Léon Blum. Nos contacts s’étirent à travers le pays, afin d’atteindre les meilleurs des notres. Pendant ce temps, les mailles du filet se resserrent sur nous. Marx Dormoy (assassiné en 1941) que l’on devait arrêter 24 heures avant nous, échappe après une nuit de repos, à la police qui le joindra à Montluçon la bonne ville dont il est maire. On s’attend à tout, et au pire (…). La maison était repérée, surveillée4. »
Eugène Montel.

Le 15 septembre 1940, Eugène Montel, Vincent Auriol et Léon Blum sont arrêtés par la milice de Vichy.

« Ce matin-là, la fraîcheur du château me glaçait les os. J’étais réveillé depuis longtemps et je marchais dans les couloirs, seul, tout le monde dormait encore, Léon aussi. Je réfléchissais à ce que nous devions faire aujourd’hui, dès que Vincent arriverait, quand soudain, j’entendis des bruits sourds d’abord, qui devinrent des murmures puis des discutions de plus en plus fortes pour finir par des cris. Je regardais la vieille horloge posée sur la cheminée de marbre : 6 heures ! Le château était cerné, d’importantes forces de police pénétraient dans la propriété, je reconnus même le chef de la Sûreté en personne. Evidemment, Pétain n’avait pas tardé à lancer ses sbires à nos trousses. J’envoyais le personnel déjà accouru, annoncer la nouvelle à Léon qui descendit aussitôt. En même temps, on frappait fortement à la porte : – Ouvrez ! Police ! Le chef prit la parole : – Monsieur Léon Blum, au nom de l’Etat Français, je vous arrête ! Décontenancé par ce réveil matinal, Léon me regarda. Je pus lire dans les yeux de mon ami tout l’encouragement, toute la confiance qu’il me portait. Mais on entendit : Monsieur, Eugène Montel, au nom de l’Etat Français, je vous arrête ! 5 »
Eugène Montel.


Dès la libération et le mois de mai 1945, Eugène Montel est élu Maire de Colomiers et le restera jusqu’à sa mort en 1966. Il devint également Conseiller Général de Toulouse-Ouest puis fut porté à la Présidence de l’Assemblée Générale de la Haute-Garonne et député à l’Assemblée Nationale. C’est depuis le château de l’Armurier qu’Eugène Montel a accompli son travail d’élu plébiscité à Colomiers, dont il marqua à jamais de son empreinte son histoire et sa modernité.

Eugène Montel faisait des triples sauts dans la piscine du château, à plus de 70 ans, devant ses petits-enfants. C’était un endroit féerique6.
Isabelle Feldkirchner.

Contre l’oubli



Progressivement abandonnée puis à l’état de ruine, les héritiers des Massardy vendent la propriété en 2004.

Depuis, le château a été racheté par la SEM Oppidea, puis transmis à un premier groupe immobilier qui fera défection. En 2011, un second promoteur acquiert le lieu pour réaménager la bâtisse principale et construire un complexe d’appartements. Face à ce projet, une association de riverains ainsi qu’un collectif de citoyens se mobilisent pour alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de préserver le domaine et la mémoire du lieu.

En 2017, le conseil municipal initie la création d’une œuvre artistique et littéraire en hommage à Léon Blum et à l’histoire de l’édifice, dans le bois rendu accessible au public. Le promoteur Pitch Promotion se positionne alors comme mécène de l’opération.

 

 

  1. Texte extrait de « Colomiers, 1940 à 2000 », publication SAHL (Société d’Archéologie et d’Histoire Locale) présidée par Henri Molina (Ancien Maire-Adjoint à la Culture), 2008
  2. Mémoires de Léon Blum
  3. Propos de Edmond Lazerge, petit fils du régisseur du château de l’Armurier, ancien élu municipal de Colomiers, cité dans La Dépêche du Midi, 29 décembre 2016, « J’ai vécu au milieu de personnages célèbres », article de Jean-Michel Lamotte.
  4. Propos de Eugène Montel, « L’avenir », 1965
  5. Propos de Eugène Montel, « L’avenir », 1965
  6. Isabelle Feldkirchner, habitante de Colomiers et membre de l’Apea (Association pour la préservation de l’environnement du quartier de l’Armurier), citée dans La Dépêche du Midi, 30 septembre 2011, « Château de l’Armurier : les défenseurs en pointe », article de Cyril Doumergue.